Résidences et expositions, Brésil, 2003-2004, Démarche artistique

Présentation de travaux réalisés lors de résidences et à l’occasion d’expositions individuelles et collectives au Brésil, en 2003-2004

Que reste-t-il des fragments rencontrés à la surface du paysage et qui captent le regard ?*
Les gestes permettent de recueillir ces fragments : ils s’inscrivent dans le prolongement des déplacements du corps dans l’espace et constituent le point d’aboutissement de ce qui est vécu comme une traversée. En ce point de contact, le regard se fait tactile à la rencontre de la matière.
Extraits de leur milieu d’origine, ces fragments laissent leur empreinte en négatif.
Cette absence, liée à leur disparition, est soulignée en atelier par l’utilisation du blanc, répondant au geste initial qu’il prolonge, de mise en retrait du paysage.
En subtilisant leur couleur propre, remplacée par une « non-couleur », nous accompagnons leur disparition en même temps que leur texture se révèle progressivement et qu’ils apparaissent plus éclatants.

Replacés dans leur milieu d’origine, ils oscillent entre présence et absence.
S’ils font irruption entre les racines des arbres comme s’ils émergeaient de la terre retournée, dans Au pli des arbres, l’ombre qui se creuse à leur lisière les ancre de nouveau dans le paysage en faisant remonter à la surface l’obscurité profonde.
Dans Sans parole, ces fragments jonchent le sol de l’espace d’exposition, abandonnés à eux-mêmes et livrés au regard du spectateur comme autant de traces d’une expérience passée refaisant surface et dont l’histoire serait à réinventer.
L’ombre portée des branches se glisse entre les pages d’un livre ouvert à même le sol, dans Traversée en suspens, et nous reconduit vers un en-deçà de l’image : l’obscurité qui précède son apparition est aussi la condition de sa visibilité.

Ces fragments de végétaux sont autant de restes abandonnés à la surface d’un paysage arpenté dans son étendue. S’ils jalonnent celui-ci et rythment nos déplacements, ils deviennent bientôt le motif de nos investigations.
Recueillis, avant de disparaître puis, mis en retrait, ils réapparaissent éclatants en pleine lumière, le temps d’une exposition, et se présentent comme autant d’indices à la lecture du spectateur. L’ombre portée s’offre au regard comme une énigme l’invitant à se pencher à son tour sur les traits d’un inconnu, d’un autre ou d’un ailleurs.**
La transformation de la matière en atelier (par le passage de la couleur au blanc) s’apparente à l’application d’une seconde peau insufflant une seconde vie aux restes du paysage recueillis.
Leur éclat les assimile à des ornements qui entrent en dialogue avec les lieux d’exposition, en intérieur ou en extérieur. Quant à l’ombre portée, elle se lit comme un dédoublement de l’image dont elle souligne le caractère transitoire.

La répétition des gestes traduit une tentative de reprise du temps : ceux du ramassage, assimilé à un acte de recueillement, de la transformation de la matière, de la mise en espace/ombre et lumière.
Le temps de l’exposition se superpose à celui, en amont, de nos déplacements, que le spectateur reprend à son compte à travers ses multiples aller-retours effectués entre ces fragments de paysage transformés.
Un croisement s’opère ; un dialogue silencieux s’instaure.
Ce silence est traversé par la « mariée » lors de la performance réalisée à l’occasion de l’exposition Le jardin des récoltes, dont le geste (répétitif) de dérouler une bobine de fil accompagne les déplacements et tisse un lien entre les différents espaces, intérieurs et extérieurs : le lieu de l’exposition comme celui de nos investigations.
En foulant de ses pas des espaces parcourus au passé, elle réactualise celui-ci et, ce faisant, ouvre une brèche sur le devenir-lieu de l’image.

Par le ramassage, le déplacement et la transformation de ce qui constitue la matière-même du paysage, devenue le matériau de nos installations, ces gestes répétés participent à une tentative de retournement du temps, de négociation de la limite entre présence et absence, apparition et disparition.
Si ces matériaux réintroduits dans leur milieu d’origine apparaissent comme des excroissances du paysage, ils sont aussi travaillés comme des excroissances du temps qu’ils « déjouent ».
Les voiles suspendus dans Au pli des arbres et Sans parole se balancent au gré du vent dont ils matérialisent le souffle : la présence fantomatique de ces cloches silencieuses évoque le voile de la mariée qui s’impose comme figure de passage.

Ainsi, ces œuvres travaillées à partir d’un paysage donné nous en proposent une relecture, attentive aux traces du passé faisant irruption au présent, pour donner lieu à l’image, sous forme d’installations et de photographies.

Christine Enrègle, plasticienne, juin 2015

* Cette question fait écho à celle posée par Mehdi Brit lors de l’exposition de Laurence Nicola à la Galerie du Haut-Pavé, Paris, en janvier 2015.
** Idem.

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